Archives de l’auteur : Jasnièrane

Heureusement

Lorsque je l’ai vue toute perdue des sanglots dans la voix
Parlant de l’anniversaire du décès de son mari,
J’ai pensé qu’heureusement notre amour s’est tari,
Heureusement qu’à présent je suis sans toi.

Lorsque je vois mon amie déprimer
De se voir et de voir son amour vieillir,
Je pense qu’heureusement tes sentiments tu as réprimés.
Heureusement, je ne te verrai pas défaillir.

Lorsque je vois des couples s’étreindre, s’embrasser,
Je nous vois tous deux tendrement enlacés
Et je pense, qu’heureusement, tu as eu peur
Car finalement je ne conserverai que le bonheur.

Cet amour si fragile, nous n’avons su le défendre.
Nous avons laissé les liens se distendre.
Et à défaut d’être à présent vraiment heureux
Du moins ne connaîtrons-nous pas le chagrin d’avoir vécu à deux.

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Le voyage immobile

Je m’y suis tellement projetée
Je l’ai tant anticipé
Allongée sur mon canapé
Impossible de savoir s’il est rêve ou réalité.

Ranger et nettoyer la maison,
Préparer et descendre les valises,
Ça a toujours été ma hantise
Quelle que soit la saison.

Tout caser dans la voiture
Bien accrocher ma ceinture.
Et là, sitôt assise savourer
Tout ce qui pourrait m’entourer.

Je peux enfin apercevoir
Les quais de Seine remplaçant les trottoirs.
Le bitume est changé en terre meuble.
Les arbres succèdent aux immeubles.

J’ouvre la fenêtre pour mieux sentir
L’herbe et le feu de cheminée.
Et accrochée à mon volant, déterminée,
Je sens une allégresse m’envahir.

Le soleil se lève. Je suis éblouie par des reflets.
De chaque côté le décor continue à défiler.
Libre à moi de m’arrêter pour des photos
Ou de continuer pour arriver plus tôt.

Des chevaux galopent parallèles à la voiture
Pendant que des vaches broutent leur pâture.
Je reconnais chaque tournant de route
Chaque haut de côte, aucun doute.

Et finalement c’est l’habitude.
Je chantonne et baille de lassitude.
J’éprouve l’envie de m’étirer
Et me sens hypnotisée, comme aspirée.

Et je sursaute sur le canapé où je m’étais endormie.
Apparemment, j’ai eu un problème d’allumage
Et si je veux revoir plus sûrement mes amis
Voilà qu’il me faut recommencer ce voyage.

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Un drôle d’oiseau

Il est tôt. Le soleil apparaît
Et progressivement transparaît
Comme au lever d’un rideau,
Son quotidien cadeau.

Mais ce matin sur le toit d’en face,
Quelque chose d’insolite,
Une impression fugace,
Arrête mon regard bien vite.

Il suffisait de peu que je la loupe.
Mais sur fond rosé, une ombre se découpe.
Étonnée, je me suis levée
Afin de mieux l’observer.

Hiératique, surplombant toits et nids,
Largué par un mystificateur
Se réjouissant en catimini
De la surprise des observateurs,

Ou, comme Izo,  arrivé, avec l’onde,
Sans passé, sans mémoire,
Perméable comme buvard
Aux bonheurs nostalgiques du monde,

Il est assis, Robinson, sur son île
Observant fixement l’horizon ;
Défiant la hauteur et l’inclinaison
Du toit ; on ne peut plus tranquille.

Loin de la foule inquiète
Qui, ses moindres gestes, guette,
Il inspire profondément et s’émerveille
De tout ce qui, en dessous, s’éveille.

Puis il se redresse, et se met à bailler
Car voici l’heure d’aller travailler.
Au fait, il faut vous dire que ce glaneur
De beautés est dans la vie un ramoneur.

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J’ai peur dans le métro

J’ai peur dans le métro
Monter et descendre vite, vite.
Mais du monde, y en a trop
Et moi, je suis si petite.

Vite, sauter, mais pas les pieds joints
Sinon, je n’y arriverai point.
Et tous ces gens affairés
Feraient bien d’accélérer.

Vite, j’entends la sonnerie
J’ai peur que les portes se ferment.
Vite, j’ai peur, je crie
Maman, tiens-moi d’une main ferme !

Mais maman est occupée à faire monter
La poussette de ma petite sœur.
Elle n’a pas l’air de s’alerter
Et moi, vraiment, j’ai si peur.

Ne plus monter, ne plus descendre
Quand la sonnerie retentit.
Je veux bien mais le métro peut-il attendre
Quand tout le monde n’est pas encore sorti ?

Je sais que je pourrais être forte
Si elles pouvaient attendre, les portes !
Mais comme je n’en suis pas bien sûre
Pour moi, c’est vraiment dur.

C’est décidé, tant pis, je pousse.
Car, moi, j’ai trop la frousse.

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Remue-ménage dans la cheminée

Bruit de gouttes qui tombent dans l’âtre.
Pleut-il dehors ? Il a fait lourd toute la journée.
Contre un nuage de fourmis ailées j’ai dû me battre ;
A présent, j’aimerais enfin traîner.

Bruit de pierre qui cogne la lèchefrite.
Y aurait-il un problème dans la maison qui m’abrite ?
Déjà le toit de la grange paraît tout rongé
Et à le réparer je venais d’y songer.

Une souris viendrait-elle courir et valser
Au milieu des rondins dans la cheminée ?
Vraiment, je commence à en avoir assez :
Je ne vois rien de la plaque aux chenets.

Voici qu’à présent de la suie est en train de tomber.
Peut-être parce qu’hier j’avais fait une grande flambée ?
Je me penche et regarde vers le conduit
Mais je ne vois rien : juste au-dessus c’est la nuit.

Et la voici, enfin, qui émerge du manteau !
Finie la devinette, ça n’est pas trop tôt !
Une pipistrelle qui, sans doute, avait trop bu
A joué le Père Noël en août. On aura tout vu !

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La chrysomèle et les deux lézards

Une herbe avance à mes pieds.
Pas de vent alentour.
Quelle est cette curiosité
Que je n’avais vue jusqu’à ce jour ?

Une longue herbe dodue vert fluo
Portant une bête fluette sur son dos.
En fait, c’est tout le contraire :
Celle du dessus soulève ce qui est à terre.

C’est une chrysomèle rouge et noire qui vacille
En train de déplacer une énorme chenille.
Elle la tire, la pousse, la redresse.
Que va-t-elle en faire ? ça m’intéresse.

Elle arrive à la porter
Et avance avec rapidité
Lorsque survient un lézard
Qui ne passe pas là par hasard.

Il surgit hors du trou d’où tout il regarde
Et fond sur la chrysomèle sur ses gardes.
Il essaie d’attraper la chenille inerte
Mais c’est en pure perte.

A peine envolée la chrysomèle
Lui fonce dessus à tire d’aile.
Il doit battre en retraite dedans son trou
Alors qu’intervient un autre voyou.

Il est sur le mur à se réchauffer
D’où il peut tout voir, tout observer.
Il pense qu’il va pouvoir y arriver,
C’est comme si c’était fait.

Etait-ce voulu ? Pour moi ce n’est pas très clair.
Ils se sont rués ensemble en un éclair.
Sur l’insecte s’est jeté le premier lézard
Pendant que la chenille fut gobée par l’autre lascar.

Le champ de trèfles où tout venait de se dérouler
A été, pendant si longtemps, survolé
Par la sidérée chrysomèle
Que je suis partie, lassée avant elle.

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Au plus dense de la nuit

Au plus dense de la nuit
Deux faisceaux pivotent et se croisent.
Inlassablement, le phare luit
Que l’on voit de loin ou d’à peine quelques toises.

Tel le navigateur  perdu en pleine mer
Luttant contre les éléments déchaînés
Tu aperçois cette lumière régulière
Qui pourrait te dire que tu n’es pas abandonné.

Mais tu ne vis pas dans le même monde.
Tu ne navigues pas, seul,  sur l’onde.
Ce que tu fends, c’est la foule
Que tu conçois comme une hostile houle.

Et te cognant contre tes semblables
Que tu maudis, les prenant pour des écueils,
Tu lèves, vers la tour, un regard implacable
D’on ne sait quelle illusion en deuil.

Cette lumière qui paraît s’astreindre
Sans cesse à s’allumer et s’éteindre,
Couronnant des milliers de scintillements,
T’excède prodigieusement.

Et tandis que cette véritable Tour de Babel
Attire dans ses bras lumineux de dentelle
Une hétérogène mais soudée multitude
Sa magie même t’exclut et te renvoie ta propre solitude.

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Logique enfantine (ou faut suivre)

Dans ma chambre, il y a un placard aux secrets
Et à moins d’être terriblement indiscret
Personne ne viendra regarder ce qui est à moi.
Personne ne me prendra quoi que ce soit.

Dessus, j’ai mis un post-it
Et j’ai écrit : « Interdit aux parents ».
Et toute personne s’y aventurant
Doit s’éloigner bien vite.

Dedans, tu veux regarder ou non ?
Il y a des livres, des jouets,
Je te le dis, parce que, sinon,
Tu ne sauras pas, après.

Tu sais, ce placard est fantastique.
Ne le dis à personne mais il est magique.
J’ai beau faire. Je sors tout, je mélange.
Et bien, c’est tout seul qu’il se range.

Un jour, je dirai à mes parents
Qu’ils peuvent regarder dedans.
Je peux te dire qu’ils seront tout surpris
Par toutes mes petites cachotteries.

La remarque qui tue :

« Parfois, quand le post-it tombe,
C’est pas grave, je le colle ailleurs
 »

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Rain

Inspiré par le ballet éponyme de Anne Teresa De Keersmaeker,
par l’oeuvre « Musique pour 18 musiciens » de Steve Reich
et la météo

Là.
Odeur
De pluie
Qui arrive.
Lourde senteur
De terre mouillée.
La terre implore les cieux.
Elle n’en peut plus d’attendre.
De cet impudique appel olfactif,
Fiévreuse, elle s’élance déjà vers eux
Leur criant son envie d’être fécondée.

Soudain,
Un silence se fait.
Un nuage passe, rapide.
L’herbe frémit sous sa caresse.
L’onde se propage de loin en loin.
Les premières gouttes tombent enfin.
Elles rebondissent comme des repentirs,
Puis glissent, se ratent ou se cognent, s’unissent
Se multipliant à l’infini, aigües comme des virgules.
Pizzicati assourdissants et joyeux,
Qui pénètrent cette terre avide.
Comment distinguer la terre du ciel
Tous deux intimement entremêlés
Tous deux géniteurs désormais.

L’air se fait plus léger.
Le ciel est bleu tendre.
La terre apaisée
Va pouvoir attendre
Les semis
de l’été.

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Dans la forêt de Bercé

En roulant dans la forêt de Bercé,
J’ai vu une biche traverser,
Regards calculateurs, attentive,
Suivie de deux faons à l’allure craintive.

En marchant dans la forêt de Bercé
J’ai vu frémir des chênes vénérables
Quand la caresse du vent les berçait
Entremêlant leurs cimes respectables.

Allongée pour les écouter,
Les voir, je me suis endormie
Et réveillée à l’heure du thé
Chatouillée par quelques fourmis.

Un pique-prune mordoré
A attiré mon attention.
A mes pieds, bien affairé
Il vaquait avec application.

Peut-être allait-il habiter,
Le chêne de vieille futaie
Entouré de jeunes semis
Et qui se meurt loin de ses amis ?

Un bruit régulier de sabots
Résonne dans mon dos :
Un homme passe à cheval
Distant, à l’allure martiale.

Des huttes n’abritent personne
La nuit ou quand le tonnerre tonne.
Aux enfants elles sont dévolues :
Les temps rudes sont révolus.

Route de la Jument blanche,
Dans le sous-bois entre les branches
Des rayons obliques scintillent.
Des oiseaux vifs s’y égosillent.

Les notes des mésanges charbonnières
Résonnent dans la fraîcheur qui tombe enfin.
Il est temps, de la forêt, d’atteindre les confins
Et de rejoindre Saint-Pierre-du-Lorouer.

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