Il était l’arrière-grand-père
Mais il était encore vert.
Bien sûr, il a pris de l’âge
Mais il vivait, posé, comme un sage.
Il a traversé, si discret, la vie
Sans un mot au milieu des cris
Que personne ne l’a vu défaillir,
Personne ne l’a vu vieillir.
Lorsqu’il a commencé à être malade,
Il ne s’est d’abord pas plaint.
Simplement il partait moins en balade
Pour faire les courses, pour faire le plein.
Lorsqu’enfin le traitement devint trop dur
Il fallut se rendre à l’évidence
Et appeler l’ambulance.
Il arrivait au bout de son aventure.
La chimio lui avait donné une mycose
Il ne pouvait plus manger grand-chose.
Il lui devint impossible d’avaler
Et c’est péniblement qu’il articulait.
Et, du fond de son lit, il s’inquiète
Pour celle qu’en silence il a aimée.
Elle a pris froid, s’est enrhumée.
Pour le voir, elle ne doit pas faire la navette.
Alors qu’il était en train d’agonir,
Avant que n’arrive le pire,
Que l’on gardait pour soi ce fardeau
Il a pu donner à chacun un cadeau.
Pour certains, quoi que cela lui ait coûté,
Il s’est laissé alimenter
De cuillères de cet amour
Qu’on lui portera toujours.
Pour d’autres, quoique prude, il s’est laissé masser.
Caresses tendres et légères
Porteuses de mots qu’on voulait taire,
Qu’on n’osait prononcer.
Pour ma part, ce fut un sourire
Qu’il me faudra, à mon tour, transmettre
Quand viendra l’heure de partir
Quand je serai, moi aussi, l’ancêtre.
Exténué, il ne pouvait plus soulever
Ni sa tête ni ses paupières.
Ma visite s’achevait
Je ne voyais pas qu’elle serait la dernière.
Sur le pas de la porte, je me suis retournée.
Je l’ai vu se redresser
Son visage s’est épanoui,
Et dans un ultime effort, il m’a souri.
Ce que je n’ai pas pu comprendre
Alors que je partais,
(Mais voulais-je l’entendre ?)
C’est que c’est lui qui nous quittait.